Une interview complète de Let's Go France concernant notre recherche et développement, notre vision et plus encore.

28 Feb, 2020 - Tel que publié sur Lets Go France (Traduit)

L'entreprise réunionnaise Torskal cherche dans le monde entier un traitement contre le cancer alliant nanotechnologies et chimie verte. Comme d'autres biotechs, la crise sanitaire de Covid-19 remet en cause ses perspectives. Anne-Laure Morel, PDG et fondatrice, veut investir dans de nouveaux partenariats, les yeux rivés sur la scène internationale.

Suite à la crise sanitaire, y a-t-il eu une prise de conscience de l'écosystème français de recherche et développement ?

Comme d'autres biotechs, nous avons été sollicités par des laboratoires, des grands groupes, des services de transfert de technologie et des universités, pour trouver ensemble une solution de test Covid-19. Nos entreprises ont ainsi bénéficié d'une nouvelle visibilité médiatique et le grand public a découvert l'organisation et la vivacité de la recherche française. Ils ont aussi compris les enjeux. Notre paysage est organisé entre la recherche fondamentale, souvent publique, la recherche appliquée, côté privé, et le développement expérimental, porté par les deux à la fois. Coupez le budget de l'une et les deux autres en pâtiront. Si l'on met fin aux allocations pour la recherche fondamentale, c'est la fin à moyen terme de toute innovation sur le territoire français. C'est la combinaison de ces différents modes de recherche qui fait l'excellence française. Au-delà des budgets, ce sont les cadres de coopération qui sont nécessaires pour décupler notre recherche, qui a été mise à l'épreuve lors de la crise sanitaire.

Quel rôle pour les entreprises de R&D dans le plan de relance de la France ?

Nous ne pouvons pas envisager de reprise économique sans la contribution des entreprises de recherche. Elles sont le moteur de l'attractivité de la France et de son rayonnement international. La recherche rend nos entreprises compétitives dans les activités à forte valeur ajoutée.

"Installer le siège de TORSKAL sur l'île de la Réunion était un véritable pari. Un pari gagnant."

- Anne-Laure Morel, PDG et fondatrice de Torskal

Dans ce contexte, quelle direction prendra Torskal ?

La crise sanitaire nous a incités à réfléchir à notre stratégie à moyen et long terme. Contrairement à la tendance actuelle, nous avons décidé de nous concentrer sur le recrutement. De plus, jusqu'à présent, nous nous sommes concentrés sur le marché français et la Chine. Notre intérêt se porte désormais sur le continent américain où nous avons l'opportunité de devenir les pionniers des nanotechnologies vertes. Nous recherchons des partenaires industriels : tout est à construire dans ce nouveau projet de rayonnement international. Telle sera notre ambition en cette période de reconstruction économique.

Avec le nouveau plan de 2,5 milliards d'euros Investissements pour l'avenir 4le plan de relance apporte-t-il un soutien suffisant aux entreprises de recherche ?

Ce n'est pas tant une question de budget, mais plutôt d'accès à cette ressource. Les précédents PIA étaient conditionnés à la création d'alliances avec des grands groupes ou des laboratoires pour en bénéficier. C'était une manière habile d'encourager les collaborations, qui sont d'une importance vitale pour la recherche française. Cependant, ce système ne protégeait pas suffisamment les très petites entreprises.

"Tant de choses aujourd'hui sont dématérialisées ; il est temps pour les acteurs de l'investissement de prendre ce virage."

- Anne-Laure Morel, PDG et fondatrice de TORSKAL

Plus généralement, les biotechnologies consomment beaucoup de liquidités. Il est donc nécessaire de trouver des mécanismes de financement durables pour mieux les soutenir. Dans cette perspective, chez Torskal, nous croyons au développement de partenariats locaux pour lever des fonds localement et accéder au marché en même temps.

Le partenariat est le modèle qui accélère Torskal. Nous le pratiquons pour nos essais cliniques avec des partenaires privés. Et nous faisons également appel à des partenaires publics comme les hôpitaux universitaires. Avec cette méthode, nous co-construisons le produit afin de garantir son achat à long terme par ces mêmes acteurs.

Quels sont les avantages d'innover loin des lieux reconnus ?

Installer le siège de Torskal sur l'île de la Réunion était un véritable pari. Un pari gagnant, car il s'est avéré très bénéfique pour notre produit. Nous travaillons en proximité avec nos fournisseurs de plantes médicinales, matière première de notre solution. Cela nous permet de sécuriser l'approvisionnement en travaillant directement avec les agriculteurs. Nous avons commencé notre travail en collaboration avec des phytochimistes formés dans des laboratoires locaux qui connaissent ces plantes endémiques. Nous avons ainsi partagé nos connaissances en associant phytochimie et chimie des matériaux.

L'autre avantage de s'implanter dans un département d'outre-mer est fiscal. Nous bénéficions d'un taux de crédit d'impôt recherche attractif d'environ 50%, contre 30% en métropole. La Réunion, c'est l'Europe au cœur de l'océan Indien, sauf que nous sommes géographiquement plus proches de nos partenaires asiatiques.

Cependant, ce choix des DOM-TOM n'est pas facile à faire en toutes circonstances. Cela nous est parfois fait remarquer par des investisseurs potentiels, historiquement basés dans les grandes places comme Paris. Cependant, tant de choses sont aujourd'hui dématérialisées et ouvertes, il est temps que les acteurs de l'investissement prennent ce virage. Le numérique et les stratégies fiscales sont des leviers importants pour l'innovation dans les DOM-TOM, à condition que les investisseurs se décentralisent aussi.